Quand les écrivains mettent en correspondance les tourments de l’homme et les forces de la nature, il en résulte de belles pages littéraires aux envolées lyriques. La période romantique, de la fin du XVIIIème siècle au milieu du XIXème, a résonné des affres de la condition humaine poussées à leur paroxysme : passion amoureuse désespérée, solitude abyssale, mélancolie incurable. Autant d’états d’âmes torturés qui peuvent mener l’homme au geste fatal… Mais c’est aussi à cette période qu’ont éclot les premières idées écologiques, la célébration de la nature et du vivant comme antidote à un monde conformiste que certains pressentent déjà comme de plus en plus individualiste.
Venez (re)découvrir les textes de Charlotte Brontë, Goethe, Rousseau et Thoreau mise en voix par Annick Jouanne
[(Vendredi 13 décembre, 20h – Bibliothèque Rose Bily
Adultes et enfants à partir de 13 ans.
Entrée libre (réservation conseillée).)]
[*** Walden ou la vie dans les bois (extraits), Henry David Thoreau – 1854*]
Quand j’ai écrit les pages suivantes, ou la plupart d’entre elles, je vivais seul au milieu des bois, à un mile de mon voisin le plus proche, dans une maison que j’avais construite moi-même, sur la berge du lac de Walden, à Concord, Massachusetts, et je gagnais ma vie grâce au seul travail de mes mains. J’ai habité là deux ans et deux mois.
Je trouve salutaire d’être seul la plus grande partie du temps. Etre en compagnie, fût-ce avec la meilleure, est vite fastidieux et dissipant. J’aime à être seul. Je n’ai jamais trouvé de compagnon aussi compagnon que la solitude. Nous sommes en général plus isolés lorsque nous sortons pour nous mêler aux hommes que lorsque nous restons au fond de nos appartements. Un homme pensant ou travaillant est toujours seul, qu’il soit où il voudra. La solitude ne se mesure pas aux milles d’étendue qui séparent un homme de ses semblables.
[**** Johann Wolfgang von Goethe (extraits), Les souffrances du jeune Werther – 1774*]
J’ai déjà cent fois saisi un couteau pour faire cesser l’oppression de mon cœur. L’on parle d’une noble race de chevaux qui, quand ils sont échauffés et surmenés, s’ouvrent eux-mêmes, par instinct, une veine avec les dents pour se faciliter la respiration. Je me trouve souvent dans le même cas ; je voudrais m’ouvrir une veine qui me procurât la liberté éternelle.
Pas un moment qui ne te dévore, et les tiens autour de toi; pas un moment où tu ne sois un destructeur, où tu ne doives l’être; la plus innocente promenade coûte la vie à des milliers de pauvres insectes; un de tes pas ruine les laborieux édifices des fourmis, et enfonce tout un petit monde dans un injurieux tombeau. Ah! Ce qui me touche, ce ne sont pas les grandes et rares catastrophes du monde, ces inondations, ces tremblements de terre, qui engloutissent vos cités; ce qui me ronge le cœur, c’est la force dévorante qui est cachée dans la nature entière, et n’a rien produit qui ne détruise son voisin et ne se détruise soi-même. C’est ainsi que je poursuis avec angoisse ma course chancelante, environné du ciel et de la terre et de leurs forces actives; je ne vois rien qu’un monstre qui dévore, qui rumine éternellement.
[***** Rêveries d’un promeneur solitaire (extraits), Jean-Jacques Rousseau – 1776*]
Quand le soir approchait, je descendais des cimes de l’ile, et j’allais volontiers m’asseoir au bord du lac, dans quelque asile caché ; là, le bruit des vagues et l’agitation de l’eau, fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation, la plongeaient dans une rêverie délicieuse, où la nuit me surprenait souvent sans que je m’en fusse aperçu. Le flux et le reflux de cette eau, son bruit continu, mais renflé par intervalles, frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi, et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser.
Tout ce qui m’est extérieur m’est étranger désormais. Je n’ai plus en ce monde ni prochain, ni semblables, ni frères. Je suis sur la terre comme dans une planète étrangère, où je serais tombé de celle que j’habitais. Si je reconnais autour de moi quelque chose, ce ne sont que des objets affligeants et déchirants pour mon cœur et je ne peux jeter les yeux sur ce qui me touche et m’entoure sans y trouver toujours quelque sujet de dédain qui m’indigne, ou de douleur qui m’afflige.
[****** Jane Eyre (extraits), Charlotte Brontë – 1847*]
Vous n’avez jamais senti la jalousie, n’est-ce pas, mademoiselle Eyre ? Belle demande ! Puisque vous ne connaissez pas l’amour. Vous avez à éprouver ces deux sentiments ; votre âme dort, vous n’avez pas encore reçu le choc qui doit la réveiller. Vous croyez que toute l’existence coule sur un flot aussi paisible que celui où a glissé jusqu’ici votre jeunesse ; les yeux fermés, les oreilles bouchées, vous vous laissez bercer au courant sans voir les rochers qui montent sous l’eau et les brisants qui bouillonnent. Mais, je vous le dis et vous pouvez me croire, un jour vous arriverez aux écueils, un jour votre vie se brisera dans un tourbillon tumultueux en une bruyante écume ; alors vous volerez sur les pics des rochers comme une poussière liquide, ou bien, soulevée par une vague puissante, vous serez jetée dans un courant plus calme.
Vous n’êtes pas une ruine monsieur; vous n’êtes pas un arbre frappé par l’orage: vous êtes jeune et vigoureux. Des plantes pousseront autour de vos racines, sans même que vous le demandiez, car elles se réjouiront de votre riche ombrage; elles s’appuieront sur vous et vous enlaceront, parce que votre force leur sera un soutien sûr.